13 Juil 2016

Le prélèvement à la source : un lourd fardeau de plus pour les entreprises

À en croire le sondage Odoxa du 15 juin dernier réalisé pour Les Echos, 65 % des Français se déclarent favorables à la mise en place du prélèvement à la source. 21 % affirment même y être « très favorables ». En ces temps de grèves et de contestations quasi-quotidiennes, il n’est donc guère étonnant que le gouvernement s’accroche à ce projet de réforme. Pour autant, si elle semble populaire, cette refonte du système de prélèvement n’échappe pas à la critique, loin s’en faut. À bien y regarder, on pourrait même se demander à quoi elle sert. Vous n’êtes pas convaincu ?

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Plus simple pour les contribuables
65 % des Français pensent que le prélèvement à la source va leur simplifier la vie. Il est vrai qu’avec ce système, qui marque la fin du décalage temporel d’imposition, les contribuables auront une meilleure appréciation de leur net disponible et ainsi de leur pouvoir d’achat. Toutefois, si comme 89,4 % des actifs, vous êtes salarié (chiffres Insee 2014) et de surcroît mensualisé (60 % des ménages selon le fisc), cela ne devrait pas changer grand-chose pour vous. Quant à la célèbre déclaration de revenus, sans surprise, elle est maintenue pour permettre un ajustement du taux de prélèvement en cours d’année en fonction de la réalité des revenus perçus. Pas de simplification à attendre de de côté-là.
Une charge pour les entreprises…
73 % des Français considèrent que la mise en place du prélèvement à la source alourdira la charge de travail des entreprises. Mais bien peu imaginent à quel point. Transformer les entreprises en percepteurs coûtera ainsi 2 milliards d’euros selon le Conseil des prélèvements obligatoires (rapport 2012). Une charge qui ne pèsera pas sur les épaules de l’État mais bien sur celles des entreprises. Aucune contrepartie n’étant prévue à ce jour. Une charge administrative qui, rappelons-le, vient s’ajouter à de récentes obligations toutes aussi complexes et coûteuses à mettre en œuvre, telles que la déclaration sociale nominative (DSN) ou encore le compte pénibilité, pour ne citer qu’elles.
…mais également un risque
Prélever l’impôt représente un coût mais également un risque pour les entreprises. Qu’adviendra-t-il, par exemple, lorsqu’en situation de cessation de paiements une entreprise sera incapable de reverser à l’État les impôts qu’elle est chargée de collecter pour son compte ? Bien peu d’informations sont aujourd’hui disponibles à ce sujet. En revanche, un parallèle peut être dressé avec une situation bien connue : celle où la difficulté de paiement porte sur la part salariale des cotisations sociales. Un autre versement que l’entreprise réalise au nom de ses salariés. Dans cette hypothèse, malheureusement assez courante, lorsque l’entreprise, suite au dépôt de bilan, se trouve dans l’incapacité de payer, le chef d’entreprise se voit reprocher une faute de gestion. De facto, sa responsabilité personnelle est engagée. Ce qui signifie, tout simplement, qu’il doit régler les arriérés de paiement de droits sociaux sur ses propres deniers. Pas sûr que l’approche juridique des impayés d’impôts sur le revenu soit différente.
Alimenter les tensions
En raison de ce changement, 71 % des Français ont peur qu’il y ait des erreurs de la part des entreprises ou du fisc. L’entreprise appliquera le taux de prélèvement que l’administration lui indiquera. Elle devra donc ne commettre aucune erreur dans sa mise en place ni dans sa mise à jour au risque de subir les foudres du salarié victime. Pire, même si la « bourde » ou le retard est le seul fait de l’administration fiscale, c’est l’employeur, collecteur de première ligne, qui essuiera les critiques de ses collaborateurs. Un comble ! Quant au simple fait que le taux de prélèvement soit communiqué par le fisc à l’entreprise, il inquiète tout de même 71 % des Français. Comment en effet imaginer que cette situation, qui permet à tout employeur d’avoir une idée assez précise du montant global des revenus de chacun de ses salariés, n’ait aucune incidence sur sa politique salariale ? Et même si l’entreprise n’en tenait pas compte, les salariés auront toujours un doute. De quoi attiser les tensions. Ce dont personne n’a vraiment besoin.
Quel intérêt pour l’État ?
Lorsque l’on pose la question aux Français, 61 % répondent que le prélèvement à la source permettra à l’État de mieux gérer et prévoir les finances du pays. Loin de moi l’idée de jouer les mauvais coucheurs, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes. Deux en particulier : 98,64 % et 65 000. Le premier correspond au taux de recouvrement de l’impôt sur le revenu et le moins que l’on puisse dire est qu’il est excellent. Le second n’est autre que le nombre moyen de défaillances d’entreprises enregistrées ces dernières années. La mise en place du prélèvement à la source dans la mesure, une fois encore, où elle transforme l’entreprise en percepteur, nous invite à marier les deux. Inutile d’être un spécialiste des probabilités pour en déduire que le rendement de l’impôt risque de chuter. Le maintenir à son niveau actuel tiendrait même du miracle. Quant à la baisse du nombre de fonctionnaires que cette réforme pourrait occasionner (25 000 postes selon Terra Nova, un think tank proche du PS et très favorable au prélèvement à la source), personne n’y croit vraiment.
Le prélèvement à la source cruel pour les contribuables modestes
215.000 demandes de remises gracieuses ou d’étalement de l’impôt ont été formulées en 2013. Comment fera-t-on à l’avenir pour ces contribuables en grande précarité financière puisque leur entreprise n’aura pas la légitimité pour leur accorder des délais de paiement de l’impôt?
Alors pourquoi tout ça ? Puisque le prélèvement à la source existe déjà pour les plus-values immobilières, les cotisations sociales, le prélèvement forfaitaire non libératoire sur les dividendes, les différents prélèvements forfaitaires libératoires comme sur l’assurance-vie par exemple.
Les mauvaises langues disent qu’il s’agit d’un cheval de Troie destiné à enfin permettre la progressivité de la CSG (récemment jugée comme inconstitutionnelle, rappelons-le) en la fusionnant avec l’impôt sur le revenu. Mais doit-on écouter les mauvaises langues ?

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Commentaires

  • Raphaël Mina
    19 juillet 2016 Répondre

    On voit en effet le revers de la médaille grâce à cette analyse précise, merci ! Mais pourtant, quasiment tous les autres pays européens (voire tous ?) utilisent ce système, parfois depuis de longues années. Avez-vous des chiffres sur le rendement de l’impôt pour nos voisins, ou d’autres indicateurs ?

    • Rolland NINO
      19 juillet 2016 Répondre

      Le taux de recouvrement de l’impôt sur le revenu dans les autres pays européens est dans la moyenne française mais au prix de nombreux contrôles d’entreprises, de menaces de fortes pénalités infligées aux entreprises et de la responsabilité des chefs d’entreprises. Enfin, la France détient le triste record d’entreprises en faillite : de toutes les faillites d’entreprises européennes, pratiquement une sur trois (30,1%) s’est produite en France. L’Allemagne vient en deuxième position dans la répartition des cas d’insolvabilité sur le continent. La part des pays scandinaves (Danemark, Finlande, Norvège et Suède) frise le huitième (11,7%). De leur côté, le Benelux (11,1%) et la Grande-Bretagne (11,0%) comptent chacun pour un neuvième des cas.

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